"Le cauchemar est une réaction au vécu"
A 47 ans, Olivier Coste, somnologue, est vice-président du syndicat des médecins du sommeil. Médecin à la clinique du sommeil (Bordeaux-Tondu) et au CHU de Bordeaux, praticien attaché aux centres de maladies rares, il fait également partie de l’équipe de recherche GENPPHASS (Groupe d'etudes neurophysiologie pharmacologie sommeil et somnolence) du Professeur Pierre Philip, qui étudie entre autres la somnolence au Volant.
Faut-il avoir peur des cauchemars ? Que se cachent-ils derrière ces représentations effrayantes ? Le médecin Olivier Coste, spécialiste du sommeil, nous explique les mécanismes qui entrent en jeu lors des cauchemars...
Quand les parents doivent-ils s'inquiéter des cauchemars de leur enfant ?
C’est surtout auprès des enfants âgés de 3 à 5 ans qu’il faut être vigilant. Ils sont entre 10 et 50 % (soit près d’un enfant sur 2 de cette tranche d’âge!) à présenter des cauchemars suffisamment importants pour alerter les parents. Ces enfants font ce qu’on appelle des «rêves d’angoisse». Ils sont à différencier du rêve de réalisation du désir, comme par exemple rêver que l’on mange un gâteau que l’on a aperçu dans une vitrine. Mais il est important de dédramatiser car le rêve fait partie de notre sommeil, même en l’absence de souvenir. L’angoisse est aussi un phénomène naturel. Psychologiquement, le cauchemar est à considérer comme une réaction au vécu, aux émotions et à la maturation psychique. Aux conflits psychiques qui accompagnent cette maturation, viennent s’ajouter l’apprentissage du langage et la symbolisation des évènements qui interviennent dans sa vie. D’un point de vue neurobiologique, cela correspond à la mise en jeu des structures cérébrales : réseau de neurones du sommeil paradoxal... C’est cette construction qui génère des angoisses. Les cauchemars sont normaux, particulièrement lors de moments spécifiques (naissance, deuil, séparation..). Il y a aussi un âge de grande fréquence, vers 3 à 6 ans, avec un pic entre 6 et 10 ans. Puis ils décroissent progressivement pour toucher 2 à 8 % des adultes. Il faudra se méfier en cas de fréquence élevée, de troubles psychologiques associés en journée (anxiété, troubles du comportement...)
Y-a-t-il des cauchemars récurrents pour tous les enfants? Quelle en est leur signification?
La signification des rêves et des cauchemars est individuelle. Le sens d’un rêve est à rechercher avec l’enfant : il faut rechercher le sens à lui donner à un moment clé de sa vie et non pour l’éternité. Cela dit, on retrouve des thèmes récurrents : se retrouver nu en public, perdre ses dents, la mort d’un proche, un monstre ou une sorcière qui nous pourchasse. Nous partageons un ensemble de contenus communs anthropologique, sociétal, symbolique bien sûr, mais aussi neurobiologique (registre de comportement, d’émotion dont la peur et l’angoisse) ; les acquisitions culturelles se font sur et avec un fond de "nature" partagé par tous les humains.
Quels conseils donnez-vous quand l'enfant se réveille régulièrement à cause de cauchemars?
D’abord, il faut préciser le cauchemar : à quelle heure est-il survenu ? Plutôt en première ou deuxième moitié de nuit ? Quel était l’état de l’enfant : était-il conscient pour raconter ? Dans ce cas, c’est très différent des terreurs nocturnes où l’enfant est inconscient. Ensuite, il faut s’attarder sur l’état de l’enfant en journée : surveiller son comportement, son degré d’anxiété, ou un autre trouble psychologique. Il faut aussi se donner un cadre d’interprétation : quelle est son quotidien du moment ? Quels sont les évènements ayant pu le marquer ? L’hygiène du sommeil entre également en jeu : l’enfant regarde-t-il beaucoup la télévision ? Quels genres de programmes ? Enfin, il convient de vérifier que l’enfant ne prenne pas de médicament pouvant entraîner des troubles du sommeil. Si rien n’oriente vers un trouble psychologique, il faut expliquer à l’enfant que l’on comprend ce qu’il ressent et le réconforter, comme pour une mauvaise chute à vélo ! Ensuite, il faut s'intéresser à ses cauchemars, en reprendre le récit en proposant d’y amener des changements, de jouer avec le scénario. Cela facilite la parole, éventuellement la verbalisation d’élément d’angoisse, de stress, de traumatisme, et permet à l’enfant de «métaboliser» ces contenus d’angoisse qui, pour la plupart, sont naturels.
Y-a-t-il des façons de prévenir certains cauchemars ?
Il convient d’être vigilant par rapport aux images auxquelles sont exposés les enfants : récits télévisés, films, BD. On peut accepter un peu de scènes angoissantes à condition de filtrer les contenus selon l’âge. Dans tous les cas, il faut l’accompagner dans sa découverte, ne jamais le laisser seul et commenter avec lui des moments du film, sujet à angoisse.
Préconisez-vous de mettre une veilleuse dans la chambre?
La peur du noir se situe plutôt après 4 ans, mais pas systématiquement ! Cette peur est légitime, il faut que les parents la reconnaissent et la valident avec leur enfant, sans jamais la dénigrer. La veilleuse peut-être utile mais elle ne reste qu’un objet. Or, le dépassement de l’angoisse demande une symbolisation, qui se fait dans la relation et l’affection pour aider l’enfant à mûrir. Tout rituel du coucher est respectable s’il reste souple, évolutif, et humanisé.
En résumé, le maître mot semble être « rassurer » ?
Rassurer et assurer de la réalité de l'angoisse, de son caractère normal et temporaire. Le mécanisme des rêves est identique à celui de la douleur : il y a d’abord les sensations, puis l’émotion et la représentation. La peur physique (donc la sensation) appelle la réassurance, avec des paroles douces, un câlin… L'émotion est à respecter, car la dénier tend à la prolonger. Naturellement un moment d'angoisse s'atténue, mais en parler permet de créer une représentation moins effrayante. C’est au parent d’accompagner la crise et d’en orienter l'issue.
La médecine du sommeil est une spécialité relativement récente. Se développe-t-elle?
Récente oui, comme pratique de recherche : une soixantaine d’année. Comme pratique clinique, une quarantaine pour les pionniers, et de façon plus large une trentaine. Enfin depuis une quinzaine d’années en dehors des centres CHU. Le nombre de participants au dernier congrès annuel de la SFRMS (société française de recherche et médecine du sommeil) était de plus de 1500 soit le double d’il y a 7 ans ! Les maladies existent pour la plupart depuis fort longtemps mais n’étaient pas repérées. Pour l’enfant, c’est la mise en place difficile des rythmes « veille sommeil », les insomnies comportementales liées à un cadre parental insuffisant, la privation de sommeil attachée au coucher tardif qui se développent. Elles correspondent à un mal de notre société (trop de télé, manque d’autorité). Les traitements des troubles temporaires les plus courants chez l’enfant concernent la prévention des apnées du sommeil par orthodontie couplée à la chirurgie ORL, la prescription de mélatonine dans les insomnies de maladies génétiques (syndrome de Smith Magenis...) et dans les syndromes de retard de phase, ou la psychothérapie.